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Ushuaïa

El Calafate.

Nous arrivons enfin à retirer de l'argent et rejoignons François dans une auberge pas chère qu’il avait le talent de dénicher. Installés dans une chambre chauffée, nous ne trouvons la force que de rester dans nos lits.

Lors d’une soirée autour d’un barbecue typique, nous rencontrons un couple d’une soixantaine d’année, voyageant tous les deux (en partie) en stop en Patagonie durant leurs vacances depuis plus de quarante ans. Nous partageons nos bons plans, nos coups de cœurs et notre petit enfer subi sur la 40. En quarante ans ils n’avaient jamais osé la faire en stop ! Vin et viande argentine au menu.

Le jour suivant nous nous organisons une sortie au glacier Perito Moreno.

Perito Moreno

De froid et de glace

C’est le paysage que tu contrastes

Et toutes grandeurs assez vastes

Devant toi, perdent la face

Le glacier Perito est sans doute l’une des plus spectaculaires merveilles naturelles de notre voyage. Ce glacier est une langue bleue-givre de 60m de haut et 5km de large, sur une surface grande comme deux fois Paris ! Nous restons une journée, émerveillés mais enfouis sous d’épaisses couches pour supporter les -10°C. Nous observons le bal de condors au-dessus de la masse glacière qui craque comme le tonner, laissant échapper des blocs gros comme des voitures.


Puis nous nous dirigeons vers la Terre de Feu et Ushuaia pointe à 867km ! Au porte de l'ultime sud j'avais du mal à me rendre compte de ce qu'on avait parcouru. Sauf quand je regardais une carte. Le sud, nous y étions !


A la sortie de la ville nous sommes pris en stop par un jeune couple qui nous héberge à Rio Gallegos. Sur la route nous profitons d’un temps magnifique pour apercevoir au loin le pic légendaire du Fitz Roy qui nous toise et règne autoritairement sur la région.


La pampa continue de défiler et nous sommes partagés entre un sentiment de lassitude : des centaines de km parcourus sans que le paysage ne change, et l’excitation d’arriver ! Un camionneur nous conduit jusqu’à Rio Grande où François nous « attend » au chaud, chez Oscar, un ami motard.

Notre camionneur s’appelle Gabriel. Comme tous les autres conducteurs de camion en argentine celui-ci ne déroge pas à la règle : il a installé un réchaud à gaz à côté de lui pour se faire bouillir l’eau et boire son maté en paix. C’est ainsi que nous avons pu boire un maté en compagnie d’un camionneur édenté dans la pampa de la fin du monde…


Nous grimpons dans un ferry pour traverser le célèbre détroit de Magellan. Emotion.

Un renard de Magellan apparaît à la sortie du ferry. Nous avons traversé le canal. La pression monte mais je garde mes larmes. Encore 200Km de pampa pure, guanacos et rivières gelées avant Rio Grande et 450km pour Ushuaia.


Le nom Terre de feu nous vient des premiers explorateurs et navigateurs de cette région qui, depuis la mer, observaient les feux allumés par les communautés natives. Dans la nuit noire la plus profonde ces feux se voyaient de très loin.

Quand la nuit gonflait le torse, nous sommes arrivés à Rio Grande et comme les navigateurs d’antan nous vîmes de la lumière, une chaleur accueillante chez Oscar. Une famille, bien que très modeste, nous ouvre ses bras et nous accueille comme l'aurait fait notre propre famille.

Pour nous réchauffer et nous redonner les forces nécessaires pour continuer les derniers kilomètres de notre aventure Oscar organise un asado (le barbecue typique d’Argentine). Un agneau patagonien rôtit sur le bucher et du Fernet (alcool italien importé en Argentine) assouvit notre soif.

Oscar : « Es un asado. Tenemos Fernet ! » (C’est un asado, nous buvons donc du Fernet !). Nous chantons, buvons et mangeons jusqu’à n’en plus pouvoir. Nous sommes arrivés en Terre de Feu euphorique et dans l’air sifflent les musiques d’anciens hippies mélancoliques :

Sugar Man, Sixto Rodriguez, 1970

« Sugar man, won't you hurry (Sugar man, voudrais-tu te dépêcher) 'Cos I'm tired of these scenes (Car je suis fatigué de ces histoires) For a blue coin won't you bring back (Pour une pilule bleue, ne veux-tu pas ramener) All those colours to my dreams? (Toutes ces couleurs à mes rêves?)

Silver magic ships you carry (Toi, le bateau magique et argenté tu transportes) Jumpers, coke, sweet Mary Jane (Drogue, cocaïne et cette chère Marijuana)

Sugar man met a false friend (Sugar man, j'ai rencontré un faux ami) On a lonely dusty road (Sur une route poussiéreuse et isolée)

Lost my heart when I found it (J'ai perdu mon cœur, quand je l'ai retrouvé) It had turned to dead black coal » (Il s'était transformé en charbon noir inanimé)

…

Nous prévoyons de partir le lendemain mais une tempête de neige bloque l’unique route pour Ushuaia. La météo nous permet de reprendre du temps, un instant notre souffle avant notre but. Après plus de dix mois de voyage (onze mois pour Ségo), nous étions aux portes du confins du monde et nous étions fatigués.

Encore une soirée au Malbec.

Vin

Quand elle embrasse son homme plein de vin, quand ses dents serrent ma lèvre, quand ma langue effleure la sienne, quand ma main passe dans ses cheveux blonds, quand mes yeux s’engouffrent dans leurs bleus.

Il sent le raisin, l'abricot et le letchi, elle sent la chaire vivante et l'amour. Elle sent le rouge et moi aussi.

Je l'aime

Elle est belle.

Le soir quand je bois, quand j'ai bu, quand je reprendrais bien un verre, de vin argentin, je l'aime avec passion dans notre maison de rêve et de verre.

Vin. Folie de mon palais

Folie de ma raison

C’est fou comme tu me plais

Jusqu’à ma déraison.

Gorgées sucrées de raisin

Ancienne boisson antique

Et qui se boit sans fin.

Alcoolique, que le monde est féérique !

…

Même pas arrivé, l’heure d'un bilan ? Repenser à ce que nous avions fait, ou pas... Comme lors de ces soirées où l'on n'écrit plus l'histoire d'une amitié mais qu'on ne fait que relater sa grandeur passée. J’étais préoccupé de savoir ce que j’avais fait et comment je l’avais fait plutôt que de regarder ce que je pouvais encore faire. Je me posais mille questions.


Ce que je n’ai pas tout de suite compris c'est qu’Ushuaïa ou Puerto Williams ou n'importe quel dernier peuplement continue assez fou pour habiter là-bas, n'était pas la fin, ni même le début de quelque chose. C'était juste un instant de liberté dans nos vies.

Arrivés à Ushuaïa

Nous partons de Rio Gallegos, sourire aux lèvres

- « Ce soir nous sommes à Ushuaia ! »

Un jeune couple nous y emmène. Mais à trois kilomètres de notre but nous décidons de descendre de la voiture. Nous ne voulions pas manquer cette arrivée alors nous l'avons faite à pied. Après quelques virages enneigés, nous y sommes ! A l’entrée une grande arche nous annonce.

La ville est construite dans une baie, au centre d'une couronne de montagnes enneigées. Nous venons de parcourir plus de 40 000km et nous sommes fiers d’avoir été capable d’aller au bout du monde et ensemble. Nous sommes les héros de nos propres vies.


Dans une première auberge nous réalisons lentement. Toujours avec François, nous visitons les alentours et allons au bout de la route. Après Ushuaia la route continue sur 20km. Nous arrivons alors dans le parc régional Lapatia d’une beauté toute singulière. Le panorama est magnifique, on ne sait plus où regarder entre les fjords gelés, les montagnes enneigées et l’horizon lointain du bout du monde. Voilà. Même si Ushuaia n’a rien d’un endroit perdu, la route ne va pas plus loin.

…


Sans doute que depuis quatre jours, la météo me permettait de voir que le paysage autour de la ville était beau. Ce n'est que le dernier soir que je m'en aperçu.

Je me voyais écrire tous les mots du monde. Et en même temps je cherchais les derniers mots de ce voyage, mais tant que la vie est là, il n'y aura jamais de derniers mots. Sur d'autres chemins partent d'autres vies. Le voyage continue. Notre avion est dans trois semaines.

Condor - Conmort

De noir et de blanc

Je suis ta dernière ombre

Jusqu’à ton cœur je fends le vent

Ton heure la plus sombre.

D'un coup de bec j'arrache

D'un coup d'aile j'efface

J’emporte ta vie

Je te méprise et je vie

Je suis ton dernier souffle, ta dernière vie, ton dernier cri.

Je te traque, te cherche, entre les rochers de la vie, entre les falaises de la mort.

Je plane sur ta nuque, souffle dans ton dos et te pousse au précipice.

Je suis l'opportuniste mielleux, le charognard roi, le majestueux visage de la mort.

Ta chaire pourrissante passe dans mon bec, mes griffes lacérent ton visage blême et effrayé.

Ta carcasse m’appartient jusqu’à l’éternité. Je suis ton cauchemar sans fin.

Je trouverai la moindre fibre, la moindre vie attachée à ton corps, je la volerai et m'envolerai, moi roi des airs, moi roi de la mort, du bout de mes ailes je scelle ton sort.


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