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Vent d'enfer sur la 40

A Chile Chico, nous trouvons deux voitures qui nous amènent jusqu'à la frontière et laissons derrière nous la Carretera Austral et le Chili. Mais entre le poste frontière chilien et argentin, nous devons traverser un « no man’s land » de 7km. Personne ne nous prendra en stop. Après deux heures de marche éreintantes dans le froid et le vent, nous arrivons au poste argentin. A la sortie nous prenons la température, comment le stop va-t-il marcher dans ce dernier grand pays ? Un motard venant du Chili nous adresse un geste amical. Nous arrivons assez rapidement dans la ville de Perito Moreno, à 60km de la frontière. Ushuaïa pointe désormais à 1500 km.


Ville de Perito Moreno

Dans les rues de la petite ville, implantée dans la pampa déserte, nous rencontrons François le motard croisé plus tôt. Nous nous réfugions dans le camping de la ville, pour 20 pesos (2€), et plantons la tente. Nous n’arrivons pas à retirer d’argent depuis les banques de la ville, mais arrivons à échanger tant bien que mal quelques dollars restants.

Autour d’une bouteille de vin bon marché, nous faisons plus ample connaissance avec François. Notre nouvel ami, québécois, voyage en moto depuis douze mois, depuis le Québec jusqu’à l’Argentine en passant par l’Alaska. C’est un fin connaisseur de la politique française et de notre patrimoine musical, nous mettant souvent à l'amende sur Bassens ou Renaud. Malgré la chaleur de la pièce commune du camping et l'enthousiasme de nos verres, nous allons nous coucher. A 23h, notre tente est déjà gelée. On se réveille toutes les deux heures car nos pieds sont frigorifiés. Pas vraiment agréable. Au moins nous voyons nos limites, ou du moins, celles de nos duvets. -2/-3°C dans la tente, au moins -6/-7°C à l’extérieur !


Nous tendons le pouce avant midi. Une traversée de 350 km de pampa nous attend. Notre objectif commun s'appelle Gobernador Gregores. François file à bord de sa 650 et nous laisse dans un paysage brumeux.




Walter nous y emmène. C’est un conducteur en or, comme on en aimerait plus. Quelqu'un d'intelligent, de curieux, qui ne vous laisse pas sans avoir négocier l’hôtel... Nous roulons dans des plaines immenses où nous croisons des troupeaux de guanacos sauvages (sorte de lama), des autruches et des condors. Un groupe de flamants roses pétants nous rappelle notre tour dans le sud de la Bolivie. Les mêmes touffes d'herbe jaune, ces feux immobiles...


C'est dans ces immensités que l'esprit vagabonde autant que les kilomètres défilent.


…


En regardant au loin, les montagnes flottent grâce à quelques mirages.


…


Gobernador Gregores

Nous y passons une nuit dans une maison d'hôte, que François réussit à négocier 30% moins cher. Notre repas est accompagné de vin, ce qui sera le cas de chaque repas pris en compagnie de François.


Cette soirée-là, je planifiais le dernier mois de voyage et faisais le point sur les dernières envies de découverte qu'ils nous restaient. Notre prochain objectif est El Calafate, une ville d'où nous pourrions découvrir le glacier Perito Moreno et ensuite Terre de Feu et Ushuaïa. Mais quelque part, je ne veux pas m’arrêter à Ushuaïa. Je veux aller plus loin. Comme souvent. Plus loin ? Il y a Puerto Williams un petit port sur l’île Navario au sud d’Ushuaïa puis il y a Puerto Toro un peu plus au sud que Puerto Williams (le dernier peuplement continue de l'Amérique : 15 personnes y survivent à l'année). Et il y a le cap Horn : 55°58'30''... Un rocher puni par les vents et les courants les plus violents de la planète.

Je regardais les cartes, comme avant de partir, les yeux avides de noms nouveaux, toujours plus au sud. Non ! Je ne peux pas m’arrêter à Ushuaïa ! Le sud, toujours plus au sud, comme une quête aux trésors qui me rendait malade...


Discussion avec François

[if !supportLists]- [endif]« Mais en fin de compte, pourquoi Ushuaïa ?

[if !supportLists]- [endif]Parce que c'est un but, c'est la dernière « vraie » ville du sud ?

[if !supportLists]- [endif]Mais non, c'est parce que c'est la fin de la route... »

…


Le lendemain.

[if !supportLists]- [endif]« Par où passerez-vous pour El Calafate ? »

[if !supportLists]- [endif]Par Tres Lagos, par la 40

[if !supportLists]- [endif]Oh … Mais il n'y a personne sur cette route !

[if !supportLists]- [endif]Il n'y a personne ou il n'y a pas grand monde ?

[if !supportLists]- [endif]Oh… il n'y a vraiment pas beaucoup de monde... Muy poca gente... Muy poca ... » répétait en boucle la patronne des chambres. Elle avait le regard dans le vide, comme si elle repensait à un mal ancien, une souffrance qu'elle avait vécue. Elle nous dit au revoir comme on aurait dit adieu à un jeune partant au front.


Nous étions partis avec l'inconscience des étrangers et l’insouciance des jeunes sur le trajet qui s'avérera le plus difficile de notre voyage.


…


Tres Lagos

Le vent. Le vent est une folie qui vous fait oublier la raison et la passion de votre voyage.

Le vent de Patagonie est une louve sauvage qui sort les crocs et qui n'a pas de pitié. Elle traque vos points faibles, vous arrache vos vêtements, vous met à nu, vole votre courage, votre fierté et vous mord au plus profond de vous. On cherche de l'aide mais la louve vous a déjà chassé et cerné. Vous ne pouvez que subir ses assauts continus et glacials.

Deux journées de stop pour 147km. Moins de deux heures de route en temps normal.

Ségo craque sous la pression et cède à ses peurs. L'espoir fait place à l'inquiétude, la sûreté à la précarité, le courage à la vulnérabilité. La peur est en vous, ne vous lâche pas et vous fait prendre de mauvaises décisions.

Dans ces contrées au climat hostile, l'aide ne vient pas rapidement. Vous perdez patience et l'espoir.

Triste, je me sentais aussi faible et vulnérable que les premiers hommes de la planète devaient l’être.

Sommes-nous fous ? Nous entêtons nous ? Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Aurions-nous dû prendre un bus ? Il y en a un toutes les semaines en hiver...


…


La première journée nous avançons que d'une cinquantaine de km. Nous faisons l'erreur de ne pas attendre à la sortie de la ville, mais de marcher. Nous marchons 7km et attendons plus de deux heures avant qu'un véhicule aille dans notre direction. Et quel véhicule ! Une antiquité ! Un vieux camion de 1972, couleur bleu clair – rouille. La portière ne « ferme » que grâce à une corde. Ce sont deux « gaucho » [gaaotcho : célèbres gardiens de troupeau] qui nous sortent de notre solitude.

C'est alors que nous commettons notre deuxième erreur.

[if !supportLists]- [endif]« Nous allons à une vingtaine de km, pas plus, ça vous sert ? »

Sans être vraiment convaincus, nous grimpons à bord de la carlingue. Dans ces cas-là, nous pensions que c'était bon pour le moral d'avancer, ne serait-ce qu'un petit peu. Mais ici, il vaut mieux attendre, à côté d'une ville, attendre la bonne voiture qui vous emmènera dans la ville suivante.

Le vieux camion ne nous emmène pas très loin. Mais assez loin pour qu'il soit impossible de revenir en ville. Nous marchons le long de la route. Avancer pour ne pas attendre bêtement. Nous marcherons une bonne heure sans croiser de voitures. Puis on doit se résoudre à s’arrêter. Ça ne sert à rien d'avancer, sauf à nous fatiguer.


[if !supportLists]- [endif]« On n’aurait pas dû marcher. On n’aurait pas dû monter dans le camion ! »


Le vent répondait à notre place par l'affirmative. On entendait presque le Joker rire derrière nous. Cette journée-là le vent souffla à plus de 100km/h.

Le vent. Si vous pensez qu'il peut vous transporter, vous et vos désirs, vos émotions... vous avez tort. La vraie nature du vent est celle qui vous fait vous rendre compte que vous n’êtes qu'un petit caillou immobile, gris, sans émotion, quelque chose qui se recroqueville sur soi-même par peur, par faiblesse, sans ambition. Le vent vous domine jusqu'à l'oubli, et quand on s'oublie on est plus personne. Nous n'étions plus personne. Rien, au milieu de tout.

Nous attendons près deux heures sous un panneau publicitaire, ancré profondément dans un monde qu'il viole … Comme si la société moderne nous apportait une illusoire protection contre la réalité de ce monde. Nous avions toujours froid et besoin de plus.


Juste avant la nuit, une camionnette salie par la poussière s’arrêta à notre niveau. Son conducteur n’avait pas 15ans. Il nous emmena 10km plus loin dans la propriété de son père. Il y aurait des chambres là-bas. Mais comment les payer sans argent ? Nous acceptons de monter avec lui car nous aurions trop souffert, dehors, sous la tente.

Nous arrivons à « l’Estacia La Siberia ». Un nom que la propriété n’a pas volé. Passer une journée dehors par -5°C nous ferait accepter n’importe quel logement pourvu que nous ayons un toit. Le père du gamin est dans son bleu de travail, il s’active sur un vieux pick-up, un béret sur la tête, une moustache bien garnie, l’air bourru. Il ne mettra pas longtemps à juger de notre détresse et de nous offrir une chambre qu’il réserve normalement pour les camionneurs de passage. La pièce n’a pas l’électricité, les murs sont en béton brut et des araignées ont élu domicile dans les couvertures. Au moins nous seront à l’abris du vent. On ne se plaint pas. On se cuisine un fond de riz qu’il nous reste, dans notre dernier litre d’eau. Nous mangeons lentement et buvons l’eau de cuisson du riz. Nous nous couchons tôt, complètement vidé de toute énergie. La température de la pièce ne dépassera pas les 2°C avant 9h du matin.


La deuxième journée le même manège recommence. Résolu à demander à toutes les voitures, on commence notre journée dès les premiers rayons du soleil. On attendra deux heures avant qu’une première voiture pointe son nez à l’horizon.

Une voiture peut tout changer et je commençais à l'oublier. Je maudissais les quelques voitures qui nous présentaient que leurs coffres comme seule réponse.

Une voiture s’arrête, ils étaient déjà quatre à l’intérieur. Ségo s'assoit sur mes genoux et nous regardons silencieux le paysage défiler enfin.


[if !supportLists]- [endif]« Un peu de maté

[if !supportLists]- [endif]Avec plaisir ! »


Ce qui a été le plus difficile, ce n'était pas les conditions climatiques, ce n'était pas le fait que les voitures ne nous prennent pas, ce n'était pas … C'était le fait que tout soit réuni.


« Dans l'espace, vous pouvez crier, personne ne vous entendra. »


Ça n'a duré que deux jours. De savoir que deux jours suffisent pour vous faire perdre pied, c'est difficile à avaler. Bien sûr c'était dur. Mais nous pensions pouvoir affronter plus. Non, nous ne sommes pas si fort que ça.

Finalement nous arrivons. A El Calafate nous avons pu retirer de l'argent, nous asseoir face à un chocolat chaud, reprendre quelques forces et rejoindre François qui nous avait déjà dégotté une chambre pour nous deux.

Merci !


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