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Quatre jours dans le Salar

Un bus de Sucre à Tupiza nous dépose à 4h du matin dans le froid du terminal, le soleil encore loin dans sa course. Toute la ville dort. En attendant les premiers rayons annonçant son réveil, nous nous emmitouflons dans nos duvets, nous posons sur un banc et fermons un œil, juste un. Quand les agences rouvrent, nous plions bagages et partons a la recherche d'un hôtel où finir (commencer ?) notre nuit. En chemin, nous rencontrons Silvia, une petite femme, tout juste la cinquantaine, un air triste dans les yeux. Elle tient une petite agence de voyage et nous en fait la promotion. Son flyer représente le circuit au Salar dessiné à la main. Un détail qui nous touche. Son nom en tête nous nous endormons dans une petite chambre froide face au marché.

Le soleil déjà haut dans le ciel nous partons faire le tour des agences touristiques. Un tour de quatre jours dans la région, toutes le proposent et au bout de cinq discours nous pouvons quasiment citer les noms et les conditions à leur place. Les prix variant peu nous décidons de privilégier l'agence de Silvia, Grano de Oro, paraissant plus familiale et conviviale. Nous voyagerons avec deux suisses dès le lendemain. Nous finissons la journée par un coucher de soleil au mirador de la ville admirant les montagnes couleur argile.

Faux départ pour le tour. L'un des deux suisses est malade, les lasagnes pour touristes pour accusé. Silvia n'étant pas sûre de pouvoir nous faire partir le lendemain, nous changeons d'agence et optons pour Valle Hermoso. Bonus l'agence-hôtel nous offre la nuit en dortoir précédant le tour. Nous passons la journée à faire connaissance avec nos trois futurs compagnons de tour, Rémy, Pauline et Thomas, trois français.

Jour 1

J'ouvre les yeux. 6h00. Le réveil ne sonnera que dans une heure mais impossible de me rendormir, comme le jour de la rentrée. Et il semblerait qu'il en soit de même pour Rémi, rangeant déjà ses affaires.

Notre véhicule, un 4*4 Toyota, nous attend, fin prêt devant l'hôtel. Une poignée de main et notre chauffeur se présente. Il s'appelle...

- " ..."

- Comment ?

- E... "

Même après lui avoir demandé plusieurs fois de répéter, nous sommes aujourd'hui incapables de vous dire comment se nomme notre sympathique chauffeur et guide ... Mais nous nous souvenons très bien du personnage. L'air rieur, des dents en moins et une en or, la quarantaine mais sans cheveux blancs et le regard toujours au loin comme s'il voyait quelque chose ou qu'il jugeait le temps.

Dès la sortie de la ville nous ouvrons grands les yeux face aux montagnes rouges et aux formations rocheuses spectaculaires de la vallée de Palala et du Sillar. Nous savourons la vue avec notre premier petit déjeuner préparé par notre guide, et laissons nos corps se réchauffer grâce à quelques rayons de soleil bienvenus...

Je regarde au loin. Un immense oiseau déploie ses ailes, soulevant toute la poussière du monde et passe à une centaine de mètres devant nous.

- " Señor?" en lui montrant du doigt la grande ombre ailée.

- " Es un condor !! "

Celui ci se pose ensuite sur un piton rocheux et déploie sa majestueuse envergure.

Playlist de la première demie heure: Coldplay (période lycée), Nickelback (ma troisième), Simple Plan (toute ma quatrième) et pour finir ma madeleine, Green Day (ma cinquième) !

Notre chauffeur ouvre souvent sa fenêtre pour y disperser des feuilles de coca.

- " Para la Pachamama" nous dit il à chaque fois.

Nous longeons le lit de rivières, asséchées en cette saison, et des plaines où seules poussent des touffes d'herbe jaunies, semblables à des feux immobiles. Nous roulons à travers les hauts plateaux andins, croisant des troupeaux de lamas ruminants, un air bovin dans les yeux, le regard un peu vide. Chaque lama est à fibulé de pompons colorés aux oreilles, signe de reconnaissance pour leurs propriétaires. Bien qu'aucun fibule ne se ressemble et que les milliers de lamas se baladent en quasi liberté dans la région, les propriétaires s'y retrouvent. Aux côtés des lamas courent des vigognes et des autruches. Ces animaux enchantent notre route et donnent vie aux immenses plaines désertes.

Nous traversons quelques pauvres hameaux miniers, seule activité de la région avec l'élevage de lamas et déjeunons dans l'un d'eux.

Au détour d'un volcan apparaissent les ruines de San Antonio Viejo, dit le village "Fantasma" (fantôme).

- " Là où vit le vizcacha (lapin des montagnes), plus personne ne vit. "

8000 habitants et 24 églises constituaient ce village minier espagnol. Ces derniers ont fuient les épidémies en 1850, abandonnant tout derrière leur passage. Les locaux y ont vécu avant de les quitter à leur tour dans les années 1990.

Les kilomètres avalés l'après midi nous montrent notre première Laguna du tour, la laguna Morejon.

Rouler et ne pas fermer les yeux, admirer le paysage. Adrien succombe à la sieste.

A Quetana Chico nous nous arrêtons pour la nuit. Nous dormons dans un dortoir qu'on nous avait décrit comme très rustique. Certes, il n'y a pas d'eau chaude et de l'électricité que de 19h à 21h, mais en réalité, c'est presque mieux que la moyenne de nos hôtels !

Jour 2

Au soleil levant, les maisons fument. Des maisons basses, toutes faites de briques en terre. Les rivières ont gelé. Une bouteille d'eau restée dans la voiture en a fait de même. Lancés sur les pistes, la poussière s'élève derrière et reste longtemps dans l'air, sans doute pétrifiée par le froid.

La journée est une succession de lacs aux couleurs pastels et aux rives gelées, les lagunas Hedionda Sur et Kollpa puis les lagunas Blanca et Verde. Nous passons une belle demi heure dans un bassin d'eau thermale, dans un cadre magnifique.

Notre guide apprécie toujours autant de venir (même après huit ans) et son œil pétille quand nous arrivons à la "laguna verde". Le soleil au zénith, le vert est sublime et notre guide est ravi de son timing. Le volcan Licancabur, surplombant le lac, complète le tableau.

Le vent souffle dans les touffes d'herbes jaunies, dorées par le soleil. Dans cette immensité désolée, nous roulons, humbles. Les lacs font placent aux

paysages surréalistes du désert de Dali. Sur un sol lunaire, des énormes blocs aux formes étranges trônent énigmatiquement.

Puis nous arrivons aux geysers de Sol de Mañana. L'endroit semble être le laboratoire d'un scientifique. Le liquide, d'un ton gris opaque, bout, siffle, fulmine, jaillit. Nous marchons entre les vapeurs d'eau et les odeurs de souffre, prudemment.

En fin de journée nous arrivons à la laguna colorada, les eaux rouges riches en microorganisme ont donné aux flamants qui y résident, leur couleur emblématique. Émerveillés, nous en observons une petite centaine. Notre guide nous dira qu'en été, on ne peut plus voir l'eau du lac. Les flamants arrivent par centaines de milliers et le spectacle prend une autre dimension ! Ceux qui restent pendant l'hiver, sont les plus faibles, ceux qui ne peuvent pas encore voyager ou ceux qui ont déjà trop parcouru.

Le soleil couché nous nous dirigeons vers le hameau de Huallajara à plus de 4800m. Nous sortons une bouteille de vin rouge que nous avions acheté spécialement pour l'occasion. Nous jouons aux dés dans la pièce centrale surchauffée de l'auberge puis nous nous endormons dans une chambre glaciale, riche d'images, avec l'envie dans voir plus et la certitude d'être toujours plus surpris et émerveillé. Vivement demain.

Jour 3

Nous nous réveillons tôt, la nuit encore noire, le froid régnant en maitre, car une longue route nous attend aujourd'hui. Au petit déjeuner nous avons la surprise de nous faire servir des pancakes, que nous ne nous privons pas de tartiner de dulce de leche (pâte à tartiner au caramel, spécialité argentine).

Le ventre plein, au chaud dans la jeep, nous filons vers notre première destination, le très connu arbre de pierre. C'est comme ci Méduse avait réussit à pétrifier l'arbre et à le changer en pierre pour l'éternité, le faisant témoin de ce monde. Notre route continue vers le nord, longeant plusieurs lagunes, certaines hébergeant encore quelques flamants. Soudain un bruit cloche. Notre chauffeur arrête le véhicule et passe sous la carlingue. Une minute plus tard il ressort, une partie de l'amortisseur dans une main. Tout sourire il nous dit que ce n'est pas très important. Aussitôt rangé dans le coffre, nous repartons. Dans la voiture on se regarde avec une pointe d'inquiétude, mais décidons de faire confiance à notre chauffeur. Comme pour nous rassurer, celui-ci nous racontera ensuite toutes les galères qu'il a pu avoir en huit ans d'expérience. Bloqués à cause de l'eau, une roue qui éclate, pas de roue de secours et le prochain véhicule ne passant que dans 12 heures...

Nous déjeunons face à la Laguna Negra, entourés de rochers aux formes étranges, certains paraissant tenir tout juste en équilibre. Un lieu digne d'une séance de bloc (escalade) !

Quelques kilomètres plus loin le volcan Ollague s'impose à nous. Perchés sur une de ses anciennes coulées de lave, aujourd'hui transformées en mirador, nous admirons son cône parfait, enneigé, d'où s'échappe quelques fumées.

Nous traversons le Salar Chiguana avant d'arriver au Salar tant attendu, celui d'Uyuni ! Mais la visite n'est pas pour aujourd'hui, où nous ne l'admirerons que depuis les fenêtres de notre hôtel ... de sel ! Bien que l'extérieur ne paie pas de mine, l'intérieur est bluffant. Du sol au plafond, tout est de sel, jusqu'aux tables recouvertes de jolis draps colorés et aux sommiers de nos lits.

La journée se termine en jouant au foot avec les deux enfants des propriétaires de l'hôtel et en admirant leurs animaux de compagnie, trois cochons, le quatrième ayant été "cuisiné" comme nous l'annonce naturellement le garçon.

Jour 4

Levé à 5h30, départ a 6h00. Dans la voiture nous avons tout les cinq les yeux rivés vers l'est. Toutes les étoiles s'éteignent, sauf celles que l'on a dans les yeux. Pour le plus beau lever de soleil de nos vies. Un panorama à 360°, le soleil se lève dernière une chaine de montagne et les embrase. Peu à peu l'immensité du Salar sort de l'obscurité et prend une douce couleur bleu-nuit. Avant que le premier rayon de soleil ne nous touche, nous atteignons l'ile d'Incahuasy (ou isla del pescado) et ses célèbres cactus millénaires. Du haut de "l'île" (qui est en fait une formation rocheuse au milieu du Salar, nous donnant vraiment l'impression d'une île dans cette étendue lisse) nous observons le spectacle de la vie. Le soleil nous transperce, nous inonde de sa lumière, nous comble de beauté. Désormais chaque lever de soleil sera comparé à ce moment parfait.

Puis nous redescendons et nous prêtons au jeu des photos du Salar. La superficie de ce désert de sel étant comparable à celle de l'île de France, le lieu se prête parfaitement à des photos originales utilisant la perspective de la profondeur. On se creuse la cervelle, on fait preuve d'imagination, on règle notre objectif et on sourit !

"La momia", depuis le début de la journée notre guide nous en parlait, laissant à notre imagination le temps de se faire milles et une idées. Or quand nous arrivons sur place, nous nous rendons compte que "la momia" n'est autre que l'emblème du Dakar : un homme en chèche. Appellation à touristes ou véritable croyance, nous ne saurons jamais.

Enfin nous traversons Uyuni pour nous rendre au cimetière de trains.

Uyuni est une poubelle, un endroit sale, plus de poussière que d'oxygène. Nous avons bien fait de passer par Tupiza.

Les premières locomotives et wagons de chemin de fer d'Amérique du sud rouillent lentement dans un décor sableux. On se croirait presque au far west.

Après un dernier repas nous disons adieux à notre chauffeur et à notre petit groupe. Merci Thomas, Pauline et Rémy ! Ces quatre jours, hors du temps, nous ont émerveillés, nous laissant l'impression d'avoir ouvert la porte d'une pièce, où un enfant aurait été laissé seul trop longtemps avec ses crayons de couleur et sa pâte à modeler.


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