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Équateur, partie 1 : La semaine sainte

Dernier réveil en Colombie (Ipiales). Après une petite marche pour atteindre le centre-ville, une vielle dame nous indique l’arrêt d’un bus qui nous emmènerait prêt de la frontière. Dix minutes plus tard nous montons dans un vieux tas de ferrailles et nous arrivons rapidement en vue de la frontière.

Nous traversons un pont et nous sommes en Équateur ! Au poste frontière nous rencontrons deux français Franck et Nico, présents en Amérique du Sud depuis neuf mois. Très sympas, ils nous donnèrent quelques conseils pour la suite de notre voyage. Le passage de la frontière se fait sans soucis. Nous prenons ensuite un taxi pour nous rendre dans la ville frontalière de Tulcán que plusieurs colombiens nous ont conseillés pour son cimetière spectaculaire. Ils ne mentaient pas. C’est le jardin de la reine dans Alice aux Pays des Merveilles. Des centaines de buissons sont taillés pour former des visages, des animaux… Mais à force de trancher des têtes la reine à transformer son beau jardin en cimetière. On se promène dans des allées de caveaux décorés, des labyrinthes de cyprès, des jardins fleuris ensemencés de tombes et de jolies fontaines…

À la sortie de la ville nous commençons à stopper. Nous devons nous dépêcher d’arriver dans le sud de l’Équateur, à Guayaquil, car Ségolène a décidé de rentrer en France à l’occasion de la fête des 50 ans de sa mère. Une surprise dans le voyage. Son avion est le 2 avril. Après un début difficile nous montons dans la camionnette d’un couple belgico-équatorien. Après seulement quelques minutes de conversation, Marc et Miriam nous invitent à passer la nuit chez des amis, un couple franco-équatorien cette fois ci. Nous arrivons dans une très grande et très belle maison d’architecte (surnommée Le Château) dans la ville d’Ibarra. Nous avons le droit pour la nuit à un petit pavillon plein de charme, dans le jardin derrière leur villa. Nous nous installons, très heureux de cette rencontre et de ne pas à avoir chercher d’endroit où dormir. Nous savourons déjà cette nuit…

Soudain on toque à la porte :

  • « Nous avons un anniversaire ce soir, une femme et son mari qui voyage beaucoup comme vous, sauf qu’ils ont 60ans. Ça vous dit de venir ?

  • Heu, oui bien sûr ! »

Pour notre première journée de stop en Équateur nous voilà hébergés et invités à un anniversaire. Cette nuit-là nous célébrons, champagne à la main, les 60ans de la voyageuse. Quelle journée !

Après nous avoir raccompagné chez nos hôtes, Marc nous glisse un :

  • « Que Dieu vous bénisse les jeunes ! »

Quelle belle première journée de la semaine Sainte.

Départ pour Quito. Aujourd’hui le stop marche bien, la capitale de l’Équateur arrive rapidement à portée de pouce. Un homme d’un âge certain nous y emmène. Il parle énormément. Nous avons pu remarquer au cours de nos voyages, que certaines personnes nous prenant en stop ont un besoin puissant de parler. Notre chauffeur était de ceux-là. Mais nous n’écoutons déjà plus que d’une oreille ce qu’il disait à propos de son fils, sa fierté, car nous faisons face aux Andes, elles nous appelaient, nous fascinaient de beauté et de force brut.

Fatigués et pressés par le temps nous choisissons de prendre un bus de Quito à Guayaquil. Nous nous asseyons à la table d’un petit restaurant de hall de gare. Dans ma soupe nageait la tête d’un poisson chat et dans celle de Ségo la queue. Un déjeuner avec un riz de fond de casserole et un « jus naturel » à base de poudre… Un repas que l’on essayera d’oublier.

La route entre Quito (la capitale du pays) et Guayaquil (la plus grande ville d’Equateur) est magnifique. Nous sillonnons la campagne équatorienne, contournons des volcans enneigés et des collines cultivées.

A Guayaquil nous sommes accueillis chez Paco grâce au Couchsurfing. Paco est chef cuisinier à domicile, il adore le vin rouge (spécialement le Bordeaux) et aimerait plus que tout voyager en Italie et en France. Nous sympathisons évidemment très vite.

Ségo a son vol après demain et me sachant seul pour une semaine, Paco m’accueille naturellement dans sa famille pour le weekend Saint. J’accepte.

Ségo prend son vol, 30 heures aller…

Dans la famille de Paco, on m’accueille poliment sans trop de curiosité : comme « un frère qu’on ne connaît pas ». Paco a un grand frère de 45ans et deux sœurs, l’une de 38ans l’autre de 31ans. On voulait me faire gouter à tout et on rigolait de mon accent. Très vite on m’invita à manger, à m’asseoir à table. Nous sommes proches de la côte et d’une grande zone de mangrove. Ce soir nous mangerons du crabe et du poisson accompagnés forcément de riz et d’une petite salade de légumes. Au début assez enthousiaste de pouvoir gouter un plat nouveau (en plus j’adore le crabe) , je déchante ensuite un peu. Ça suce, ça croque, ça crache les coquilles et on observe mes moindres gestes.

  • « Regarde, c’est pas comme ça qu’on fait

  • Ah, mais regarde il le fait mal !

  • Non, c’est comme ça qu’on fait »…

Ce n’était pas le repas le plus approprié pour se sentir à l’aise au début. Malgré ce fait, j’aimais la situation unique et nouvelle d’être perdu, loin de mes repères. C’est ça le voyage. J’étais aussi reconnaissant envers cette famille qui m’accueillait, un inconnu, pendant le weekend Saint et m’invitait à partager un repas de roi.

Une différence que nous avons pu remarquer au cours de ce voyage c’est la structure du repas, quasi à l’opposé de celui en France. Premièrement, le déjeuner peut être servi à 10h30 comme à 15h … on mange quand on a faim. Deuxièmement la personne qui prépare à manger (en très grande majorité la femme) n’est pas attendue pour manger. Chacun arrive au compte goute à table et commence à manger quand l’assiette est mise devant lui. Le repas est très rapide et on parle peu. Enfin de la même manière que pour se mettre à table, chacun quitte la table quand il a fini, emportant son assiette.

Ce soir, bien que le premier à table, je fus le dernier à terminer. Paco resta avec moi jusqu’à ma dernière bouchée et quand j’eus enfin terminé, la mère sur un ton taquin me lança :

  • « le dernier à table fait la vaisselle ! »

Tout le monde se marra. Je n’avais pas compris. On m’expliqua, je souris…

Dans la maison il n’y avait que très peu de photos de famille. Dans une grande armoire, la photo d’une petite fille. Les deux autres images de la maison : le portrait de Marie et de celui la Scène, le dernier repas. En dessous il était écrit : « là où Dieu est, il ne manque rien ».

Ce soir les « enfants » sortent. Ils m’invitent. Nous allons dans un bar « el tropical », qui est absolument vide. Trois hommes nous rejoignent, des amis. La bière coule à flot.

Et ça sert la bière

à en oublier la misère

et ça rie

pour apprécier la vie.

Bientôt on n’écouta plus le plus bourré d’entre nous et enfin plus personne ne s’écouta.

Le lendemain, un café, du fromage, un pain en forme de croissant et un jus de fruit comme petit déjeuner. Soudain on entendit des chants dans la rue. Ce sont les chants des fidèles qui résonnaient sur les façades des maisons.

  • « Adrián, tu veux voir la procession ?

  • Oui oui ! »

Des hommes déguisés en Romains passèrent en chevaux devant la maison.

  • « Écartez-vous ! Le soit disant fils de Dieu va passer ! »

Un homme portait une grande croix, vêtu de lourdes robes rouges, il marchait avec souffrance. Une couronne d’épines était imprimée profondément dans sa chaire. Mais qu’avec pu donc faire cet homme pour mériter pareil traitement ? Une immense foule marchait derrière l’homme. Certains l’insultaient et lui crachaient dessus. L’homme me regarda, assez vaguement, mais je fus comme hypnotisé par son regard, ses yeux bleus. Je me joignis au cortège. Il faisait extrêmement chaud et je commençais déjà à transpirer. L’homme qui portait la croix n’était pas seul, deux prisonniers marchaient à côté de lui. « Des voleurs » me dit-on. Des femmes chantaient, d’autres criaient. Des senteurs de fruits trop mûrs, ainsi que l’odeur du vin qu’on jetait aux visages des détenus se répandaient dans l’air. L’homme qui portait la croix tomba. Dois-je l’aider ? Ceux qui le firent, furent repousser par les Romains. Pour le relever les Romains le fouettèrent et l’homme commença à saigner. Il tomba une deuxième fois puis une troisième. On continua à le fouetter. Peu à peu l’air se chargea d’une odeur macabre de sang chaud. Nous arrivâmes à la place centrale. Les trois hommes furent cloués sur des croix et levés pour que tout le monde puisse les voir. La foule criait, pleurait et l’air était toujours aussi chaud. Quand l’homme mourut, je leva les yeux au ciel. Outre les charognards au-dessus de nos têtes, je regarda le soleil, demanda pardon et une larme coula sur ma joue…

Retour à la réalité. Ce n’était que des comédiens.

Je retourne à la maison.

Le soir nous regardons le film « Le fils de Dieu » pour terminer comme il se doit cette semaine sainte.

Le lendemain j’étais invité à un anniversaire dans le village voisin. 50ans. Le grand congélateur avait été mis à contribution pour la centaine de bières. Ce fut le seul alcool de la soirée. On faisait tourner un seul verre. A tour de rôle, chacun le vidait d’une traite, le remplissait et le passait à son voisin. On rigolait toujours de mon accent ou de mes incompréhensions.

  • " Franchement, je pensais que l’accent français était exagéré dans les films, en réalité, il est encore plus comique !

  • Merci..."

Leurs petites moqueries n’étaient pas méchantes. J’apprenais à en rire car les prendre sérieusement et/ou leur en vouloir m’aurait fait passer pour quelqu’un imbus de lui-même. Ici, tout le monde se moque de tout le monde, bien plus ouvertement qu’en France. Je me disais que c’était leur manière de prendre les choses avec légèreté, ou bien de relativiser leur dur quotidien. Je me réconfortais en me disant que leur présence à un anniversaire en France les déconcerterait sûrement plus que je ne l’étais ce soir.

Au plus fort de la soirée, deux transsexuels firent leur apparition. Tous leurs gestes étaient excessifs et clichés. Absolument toute la foule les scrutait, médisant leur présence ou moquant leurs comportement. Je ne pus que céder à la gêne en gloussant à mon tour, imitant mes amis du soir. C’était irréaliste. Finalement, on ne se moqua pas que de mon accent !

Sur des musiques exotiques et interminables, toutes les femmes m’invitaient à danser, surtout les plus âgées, pour pouvoir dire ensuite : « j’ai dansé avec l’étranger ! »

Puis j’assistais enfin à cette tradition équatorienne du gâteau à la crème dans la tête de la quinquagénaire du jour. La soirée se termina en une bataille géante de gâteau et j’en eu pour mon grade !

Finalement nous rentrâmes avec Paco à Guayaquil et pour patienter du retour de Ségo, j’organisais mes journées entre ciné et repos et pour mes soirées Paco organisait des sorties avec ses amis.

Paco, je n’oublierai jamais ces moments de partage, de générosité et de découverte, merci énormément pour ton accueil.

Enfin Ségo revint : 40heures de vol retour. La surprise est réussie, cela valait le coup.

Son retour sonne notre départ pour les légendaires iles des Galápagos !


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